Donner la parole aux plantes

Les nouvelles technologies apportent à l’agriculture des possibilités nouvelles jusque-là impossibles, voire inimaginables : donner la parole aux plantes

Une question posée depuis des dizaines d’années

Quand je suis entré dans le métier, au début des années 80, la nouveauté en matière de gestion de l’irrigation était le tensiomètre. C’est un petit appareil rempli d’eau placé dans le sol. Il permet de connaitre la disponibilité de l’eau en mesurant la force d’aspiration nécessaire pour l’extraire. De cette force, on déduit l’énergie dont a besoin la plante pour absorber l’eau.

Cet outil est encore utilisé pour sa grande fiabilité. On peut désormais le connecter à un système automatique de stockage et/ou transmission des données. Mais son utilité est limitée car il est peu pratique et peu polyvalent. Il a représenté une petite révolution dans la gestion de l’irrigation.

On était enfin capable de mesurer de manière objective la disponibilité de l’eau dans le sol. D’immenses progrès ont été possibles dans la compréhension des mouvements de l’eau dans les sols et dans la gestion de l’irrigation.

Jusque-là, l’agriculteur surveillait l’humidité du sol avec un coup de talon dans les mottes de terre ou à la superficie. Quelques rares passionnés utilisaient une tarière manuelle qui leur permettait une appréciation subjective. C’était lent et pénible, mais de grande utilité, pour estimer l’humidité du sol au niveau des racines.

Quelques années plus tard, sont apparues des sondes de différents types. Elles étaient toutes destinées à mesurer l’eau dans le sol. Ces sondes sont toujours en usage et ont permis de grands progrès dans la rationalisation de l’emploi de l’eau en agriculture. Et par conséquent, elles ont permis la réduction du gaspillage de l’eau douce.

Vergers d'agrumes en Andalousie
Parcelles d’agrumes – Tous droits réservés AGRISCOPE

En associant ces capteurs avec des systèmes d’irrigation plus modernes, la consommation d’eau a parfois pu être divisée par deux ou plus.

A la même époque, quelques chercheurs un peu décalés essayaient d’inventer des capteurs capables de mesurer la réaction des plantes.

Et maintenant

Avec le temps, ces inventions ont longtemps été laissé au rang de purs outils de recherche ou d’inventions un peu loufoques. Ils étaient soit complexes dans leur utilisation, soit chers ou difficiles à interpréter. Mais ces informations, ont réussi progressivement à trouver leur place dans les fermes agricoles. La généralisation de l’électronique dans notre vie quotidienne a permis d’en abaisser considérablement les coûts. Mais elle a aussi permis d’améliorer leur fiabilité, leur précision, et leur encombrement.

Il s’agit par exemple :

  • Des informations disponibles à l’échelle du champ, de la ferme ou de la région, grâce à la télédétection par satellite, par avion ou par drone, qui permettent une appréciation de l’état des cultures et de leur régularité à un moment ponctuel, mais dans une vision globale,
  • D’images réalisées par des caméras multi spectrales, de type thermographiques infrarouge ou NVDI par exemple, qui nous renseignent sur la température des plantes (donc leur capacité à transpirer) ou sur leur photosynthèse,
  • D’autres systèmes par ultraviolet, ultrasons ou autres, qui nous renseignent sur l’état des nappes phréatiques souterraines ou qui nous donnent d’autres types de mesures du végétal,
  • Des mesures réalisées au niveau même de la plante, qui nous renseignent sur leur état hydrique, sur leur croissance, sur leur état de stress, comme par exemple :
    • Des capteurs de photosynthèse, pour mesurer l’activité photosynthétique de la plante, donnant une information sur son état de santé,
    • Des capteurs de flux de sève, qui mesurent la vitesse de circulation de la sève brute dans les troncs, donnant une information sur sa vitalité,
    • Des dendromètres, qui mesurent les variations micrométriques du diamètre de la branche, du tronc ou du fruit, nous informant à la fois du niveau de stress de la plante et de sa capacité de croissance,
    • Des capteurs de turgescence, placés sur les feuilles pour des mesures continues de l’état hydrique,
    • Des chambres à pression, qui permettent des mesures ponctuelles de l’état hydrique, ainsi que des prélèvements de sèves pétiolaire, nous informant de l’état nutritionnel de la feuille, …

Certains de ces capteurs nous donnent des informations ponctuelles, d’autres enregistrent les données en continu. Cela nous permet de suivre l’évolution de la plante en temps réel au cours de sa vie.

L’interprétation de ces données se fait grâce à leur mise en relation avec les données climatiques et avec les données de terrain que sont la fertilisation, l’irrigation, la protection phytosanitaire, les variations de sol, etc. Le tout étant bien entendu indissociable des observations directes au champs.


« Suivre l’évolution de la plante en temps réel au cours de sa vie »

Dendromètre de branche posée sur une plante
Un dendromètre de branche – @cbouchet

L’agriculteur observe traditionnellement ses cultures. Ce sont les symptômes visuels qui lui permettent de savoir si la plante va bien. Mais, dans la plupart des cas, lorsque la plante extériorise le symptôme, elle se trouve souvent dans une situation délicate depuis déjà pas mal de temps. Et parfois, elle y est de manière irréversible.

Mieux connaitre la plante

L’ensemble permet de connaitre la réaction de la culture aux situations auxquelles elle se trouve confrontée : climatiques, nutritionnelles, phytosanitaires ou agronomiques. Il est possible d’anticiper un problème, donc de le résoudre avant qu’il n’ait eu des conséquences négatives sur la culture.

Comme l’agriculture, par définition, s’intéresse en premier lieu à la production, la première conséquence de la rapidité de réaction est une optimisation de la productivité. Et c’est ce que permettent ces nouvelles technologies. Elles permettent une meilleure surveillance de la culture et, dans beaucoup de cas, de réduire les intrants en les appliquant au bon moment. Et surtout, nous appliquons la bonne dose au bon endroit.


« Il est possible d’anticiper un problème, donc de le résoudre avant qu’il n’ait eu des conséquences négatives sur la culture. »

Dans un objectif d’agriculture durable, ces technologies ont un grand rôle à jouer en améliorant l’efficience de toutes les pratiques. Nous les traduisons par du rendement productif et qualitatif, accompagné d’une réduction de l’impact environnemental. 

Quand on est agriculteur, comme c’est mon cas, on a le nez tous les jours dans la gestion quotidienne. Mais on est aussi, comme c’est le cas de tout le monde, un consommateur davantage préoccupé par ce qu’on met dans notre assiette que par les problèmes de ceux qui le produisent. On ne voit pas forcément la portée de ces changements technologiques.

En fait, tous ces capteurs et systèmes ouvrent une nouvelle voie d’évolution de l’agriculture. C’est même plus que ça, c’est une authentique révolution, discrète et silencieuse. Une révolution qui est à peu près inconnue du grand public, mais d’une portée hors du commun.

Station de contrôle en verger de la plante. Température, humidité, pluviométrie, débit d'irrigation, humidité du sol et dendromètre
Cette station de contrôle en verger mesure température, humidité, pluviométrie, débit et heures d’irrigation, humidité du sol à trois niveaux, et la réaction de la plante grâce à un dendromètre de branche et un autre de fruit – @cbouchet

C’est en effet la première fois dans l’histoire de l’agriculture, que d’une certaine manière, on donne la parole aux plantes. Une histoire vieille de 12 000 ans !

Changer la relation entre l’agriculteur et la plante

La plante est notre outil de production, nous lui demandons de produire toujours plus et mieux. Mais jusqu’à présent, nous ne savions ou ne pouvions pas tenir compte au jour le jour de ses réactions. Avant tout, parce que nous n’avions pas de moyens de mesures directes. On mesurait le sol et on en déduisait le comportement de la plante. On pesait le bois éliminé à la taille et on en déduisait, pour l’année suivante, des mesures à prendre.

Or nous sommes désormais capables de comprendre une partie de ce que nous communique la plante. Nous en tenons compte dans la gestion quotidienne.

Nous sommes en train de donner la parole aux plantes. Il nous est désormais possible d’être à leur écoute. L’interaction devient réelle.

Christophe Bouchet

La plante nous transmet des informations importantes et immédiates sur son état. L’agriculteur a la possibilité d’adapter ses pratiques en fonction de ses réactions.

C’est un changement vraiment profond, qui n’influe pas seulement sur les techniques agricoles. Il influe aussi et surtout sur le rapport intime entre l’agriculteur et la plante, donc sur les mentalités, ce qui est beaucoup plus difficile.

L’agriculture du futur prendra de plus en plus en compte la plante. La plante se transforme en vrai protagoniste de la production d’aliments.

Donnons la parole aux plantes.

http://culturagriculture.blogspot.com/search/label/3-%20Fran%C3%A7ais

Articles qui peuvent vous interresser

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Derniers Articles